En cas de modification dans la situation juridique de l’employeur (en raison d’une cession d’entreprise par exemple), les contrats de travail sont transférés de plein droit au nouvel employeur. Sauf exceptions, le nouvel employeur est tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail sont transférés, aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur.


1. Les conditions du transfert 

L’article L1224-1 du code du travail prévoit que « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».

Cette liste n’est pas exhaustive, l’article L1224-1 du code du travail employant le terme « notamment ».

Selon la jurisprudence, l’article L1224-1 du code du travail doit s’appliquer même en l’absence d’un lien de droit entre les employeurs successifs, 

  • à tout transfert d’une entité économique autonome
  • qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise (Cass. Ass. Plén. 16.03.1990, N° 89-45.730 ; Cass. Soc. 13.05.2009, N° 08-40.368 ; Cass. Soc. 23.10.2007, N° 06-45.289).

L’entité économique autonome dont le transfert entraîne la poursuite de plein droit avec le cessionnaire des contrats de travail des salariés qui y sont affectés s’entend d’un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels (matériel, bâtiments, terrains…) ou incorporels (clientèle, droit au bail, brevets, licences…) permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.

Le transfert d’une telle entité se réalise si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant (Cass. Soc. 23.06.2021, N° 18-24.597 ; Cass. Soc. 20.04.2022, N° 20-12.444).

L’article L1224-1 du code du travail s’applique en cas de cession partielle d’une entreprise ou d’un établissement, lorsque la branche d’activité cédée constitue une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise (Cass. Soc. 14.12.2005, N° 03-48.404).

Exemples d’entités économiques : un cabinet d’avocat a pu être considéré comme étant une entité économique (Cass. Soc. 12.03.2008, N° 06-46.090), de même qu’un rayon de boucherie dans un supermarché (Cass. Soc. 26.09.1990, N° 86-40.813) ou le service informatique d’une banque (Cass. Soc. 22.03.2006, N° 03-44.941).

✏️ A noter : Une entité économique autonome peut résulter de deux parties d’entreprises distinctes d’un même groupe (CE, 4ème – 1ère ch. réunies, 28.10.2022, N° 454355 ; Cass. Soc. 28.06.2023, N° 22-14.834). Le fait que l’activité transférée provienne de deux entreprises juridiquement distinctes mais faisant partie d’un même groupe de sociétés ne fait pas obstacle par principe à l’application des dispositions de l’article L1224-1 du code du travail. 

2. Le transfert automatique des contrats de travail

• Le transfert de plein droit des contrats de travail 

En cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, les contrats de travail des salariés qui en relèvent se poursuivent de plein droit avec le cessionnaire (Cass. Soc. 25.09.2007, N° 06-41.892)1A contrario, lorsque les conditions de l’article L1224-1 du code du travail ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre constitue une modification de ce contrat qui ne peut intervenir sans son accord exprès, lequel ne peut résulter de la seule poursuite du travail (Cass. Soc. 24.05.2023, N° 21-12.066)..

Les contrats de travail en cours subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise dans les conditions mêmes où ils étaient exécutés au moment de la modification (Cass. Soc. 24.01.1990, N° 86-41.497).

Le salarié bénéficie ainsi du maintien de sa qualification, de sa rémunération, de son ancienneté, des avantages qu’il a acquis2L’obligation à laquelle est tenu le nouvel employeur, en cas de transfert d’une entité économique, de maintenir au bénéfice des salariés qui y sont rattachés les droits et avantages qui leur étaient reconnus au jour du transfert, justifie la différence de traitement qui en résulte par rapport aux autres salariés (Cass. Soc. 20.10.2021, N° 19-24.083).. En revanche, le règlement intérieur applicable aux salariés avant le transfert de leurs contrats de travail en application de l’article L1224-1 du code du travail n’est pas transféré avec ces contrats de travail. Il n’est donc pas opposable au nouvel employeur (Cass. Soc. 31.03.2021, N° 19-12.289).

Ce transfert du contrat de travail est automatique. Il s’impose à l’employeur et au salarié3Les journalistes bénéficient d’un droit dérogatoire au droit commun via la clause de cession (article L7112-5 du code du travail).. Le salarié qui refuse le transfert de son contrat de travail ne pourra que démissionner4Et s’il ne démissionne pas ? Selon la jurisprudence, le refus sans motif valable du salarié de poursuivre le contrat de travail s’analyse en une démission privative de toute indemnité (Cass. 05.11.1987, N° 85-40.629 ; Cass. Soc. 10.10.2006, N° 04-40.325). Mais selon le Ministère du travail, la démission ne se présumant pas, si le salarié ne se rend pas chez le nouvel employeur, son comportement devrait être considéré comme un abandon de poste. Il devrait donc mettre en oeuvre la procédure correspondante..

Toutefois, par exception, si l’application de l’article L1224-1 du code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d’employeur, dans ce cas, le salarié sera en droit de s’y opposer. Il appartiendra alors au cessionnaire, s’il n’est pas en mesure de maintenir les conditions antérieures, soit de formuler de nouvelles propositions, soit de tirer les conséquences de ce refus en engageant une procédure de licenciement pour motif économique (Cass. Soc. 01.06.2016, N° 14-21.143 ; Cass. Soc. 17.04.2019, N° 17-17.880).

• Les contrats de travail concernés 

Tous les contrats de travail en cours sont concernés (CDI, CDD, temps plein, temps partiel, contrat d’apprentissage5Cass. Soc. 28.03.1996, N° 93-40.716 ; Cass. Soc. 06.05.2014, N° 12-22.881., contrats suspendus pour congé maladie, maternité ou paternité6Cass. Soc. 08.02.1989, N° 86-10.761 : jugeant qu’un contrat de travail suspendu pour quelque cause que ce soit reste en cours au sens de l’article L1224-1.…).

Concernant les salariés en préavis, les contrats de travail ne se poursuivent avec le nouvel employeur que pour l’exécution du préavis en cours (Cass. Soc. 24.01.1990, N° 86-41.497).

• La situation des salariés dits protégés 

S’agissant des salariés protégés, l’autorisation préalable de l’inspection du travail n’est pas requise en cas de transfert total.

En revanche, l’autorisation devra être sollicitée dans le cas particulier d’un transfert partiel d’entreprise ou d’établissement. Les bénéficiaires de cette protection figurent à l’article L2414-1 du code du travail. Selon la jurisprudence, doivent également faire l’objet d’une autorisation les candidats aux élections professionnelles (Cass. Soc. 08.06.1999, N° 96-45.045), les salariés ayant demandé l’organisation des élections et dont la demande a été reprise par une organisation sociale (Cass. Soc. 28.10.2015, N° 14-12.598). Selon la DGT, les anciens représentants du personnel doivent également bénéficier de cette protection pendant les 6 mois suivant la cessation de leurs fonctions (pour plus de détails, voir : guide relatif aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés, sept. 2019, mis à jour déc. 2021, p.128).

• Le transfert des contrats de travail en cas de plan de cession (sociétés en procédure collective)

La cession de l’entreprise entraîne de plein droit le transfert d’une entité économique autonome conservant son identité et, par voie de conséquence, la poursuite par le cessionnaire des contrats de travail des salariés attachés à l’entreprise cédée.

Il ne peut être dérogé à ces dispositions que lorsque le jugement arrêtant le plan prévoit des licenciements pour motif économique (Cass. Soc. 10 juillet 2001, N° 99-44.466 ; Cass. Soc. 30.04.2014, N° 12-35.219). Dans ce cas, le jugement arrêtant le plan devra indiquer le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées.

Le cessionnaire peut ainsi être autorisé par le tribunal à ne reprendre qu’une partie du personnel. C’est pourquoi, dans son offre de reprise, le candidat repreneur devra communiquer une liste des postes concernés par la reprise (liste non-nominative).

Si parmi le personnel non repris, figure un salarié protégé, l’autorisation de licenciement pour motif économique devra en outre être sollicitée auprès de l’inspection du travail, après respect de la procédure spécifique. En cas de refus d’autorisation de licenciement économique par l’inspection du travail, le contrat de travail du salarié se poursuit de plein droit avec la société cessionnaire, dès lors que son poste relève de l’entité économique cédée (Cass. Soc. 17.10.2006, N° 04-13.058 ; Cass. Soc. 14.03.2007, N° 05-45.458).

• L’hypothèse d’un transfert partiel du contrat de travail

Le transfert partiel d’un contrat de travail est possible. En cas de transfert partiel d’activité, lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris que dans un secteur d’activité non repris, le contrat de travail est transféré pour partie, sauf si la scission du contrat de travail au prorata des fonctions exercées par le salarié est impossible, entraîne une détérioration des conditions de travail de ce dernier ou porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive 2001/23/CE (Cass. Soc. 30 septembre 2020, N° 18-24.881).

3. Les obligations du cessionnaire

• L’étendue de la garantie

Aux termes de l’article L1224-2 du code du travail, « le nouvel employeur est tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur à la date de la modification (..).

Le premier employeur rembourse les sommes acquittées par le nouvel employeur, dues à la date de la modification, sauf s’il a été tenu compte de la charge résultant de ces obligations dans la convention intervenue entre eux ».

Le nouvel employeur est tenu de régler les dettes salariales qui incombaient à l’ancien employeur : salaires et primes impayés au jour du transfert, sommes acquises au service de l’ancien employeur mais payables après le transfert (indemnités de congés payés7L’indemnité de congés payés, qui n’incombait pas à l’employeur au jour de la modification de la situation juridique de l’entreprise, mais n’est due au salarié qu’à la date où s’ouvre dans l’établissement la période des congés annuels, devait être réglée par le cessionnaire, qui est son employeur à cette dernière date (Cass. Soc. 17.01.1989, N° 85-42.314 ; Cass. Soc. 06.02.1996, N° 92-45.013)., primes de fin d’année8Le droit à la prime de 13e mois ne naissant sauf dispositions contraires dont il incombe au salarié de rapporter la preuve, qu’au 31 décembre de l’année concernée, cette prime est due par l’employeur du salarié à cette date (Cass. Soc. 11.03.1992, N° 88-43.447). Ce qui n’exclut pas un recours contre le cédant pour la fraction d’indemnité correspondant au temps pendant lequel les salariés ont été à son service (Cass. Soc. 08.11.1988, N° 85-43.067), dommages-intérêts9Par exemple, le salarié est fondé à demander au nouvel employeur des dommages-intérêts pour violation par l’ancien employeur du droit aux congés payés (Cass. Soc. 19.05.2016, N° 15-20.091). .

À noter cependant que le droit aux indemnités liées à la rupture du contrat de travail naît à la date de cette rupture. Leur paiement incombe à l’employeur qui a prononcé la rupture (Cass. Soc. 29.06.2017, N° 15-21.672).

• Les droits des salariés

Le salarié, dont le contrat de travail s’est poursuivi dans le cadre du transfert d’une entité économique et qui entend obtenir l’exécution des obligations nées à la date du transfert peut exercer son action aussi bien à l’encontre de l’ancien employeur que du nouveau (Cass. Soc. 13.11.2001, N° 99-42.467)10Le salarié peut agir indifféremment à l’encontre des deux employeurs successifs en paiement des salaires échus à la date de la modification dans leur situation juridique, ceux-ci sont tenus in solidum (Cass. Soc. 06.04.2011, N° 10-16.203). L’article L1224-2 du code du travail ne prive pas le salarié du droit d’agir directement contre l’ancien employeur pour obtenir l’indemnisation de son préjudice né de fautes commises par celui-ci dans l’exécution de ses obligations avant le transfert de son contrat de travail (Cass. Soc. 25.09.2013, N° 12-13.593). Toutefois, le salarié ne peut poursuivre la résiliation de son contrat de travail aux torts de l’ancien employeur et obtenir des indemnités consécutives à la rupture du contrat de travail tout en continuant à travailler avec le cessionnaire (Cass. Soc. 14.02.2024, N° 21-18.967 ; 21-18.980).

En revanche, sauf collusion frauduleuse entre les employeurs successifs, seul le nouvel employeur est tenu envers le salarié aux obligations et au paiement des créances résultant de la poursuite du contrat de travail après le transfert (Cass. Soc. 27.05.2020, N° 19-12.471).

• L’exclusion de la garantie lorsque la cession intervient dans le cadre d’une procédure collective

Par exception, lorsque le transfert d’entreprise se réalise à l’occasion d’une procédure collective, le cessionnaire n’est pas tenu au paiement des dettes qui incombaient au cédant au jour du changement d’employeur (L1224-2 du code du travail ; Cass. Soc. 13.05.2009, N° 07-45.502).

Par exemple, le nouvel employeur n’est pas tenu de payer l’indemnité de congés payés correspondant à la période antérieure à la cession (Cass. Soc. 18.11.1992, N° 90-44.392, Cass. Soc. 19.02.1992, N° 89-45.112 ; Cass. Soc. 01.07.1992, N° 91-44.262 ; Cass. Soc. 09.10.2001, N° 99-43.217). Lorsque la modification de la situation de l’employeur intervient dans le cadre d’une procédure collective, l’indemnité de congés payés, qui s’acquiert mois par mois et qui correspond au travail effectué pour le compte de l’ancien employeur, est inscrite au passif de ce dernier et est couverte par l’AGS dans la limite de sa garantie (Cass. Soc. 08.11.2023, N° 21-19.764).

Dans le même sens, le nouvel employeur ne peut être tenu au paiement de dommages-intérêts dus au titre d’un manquement aux obligations nées du contrat de travail antérieur à cette modification (Cass. Soc. 02.02.2006, N° 04-40.474).

Une prime d’ancienneté qui est née antérieurement à la cession est due par l’ancien employeur, seulement (Cass. Soc. 12.07.1994, N° 91-43.325).  

À l’inverse, le nouvel employeur est tenu de payer les primes de vacances et de 13ème mois dès lors que ce droit à ces primes est né postérieurement à la modification (Cass. Soc. 18.11.1992, N° 90-44.392). Une demi-prime de 13ème mois exigible au 30 juin, soit dans les faits, postérieurement à un transfert qui aurait eu lieu en mai, n’est pas à la charge du cédant (Cass. Soc. 07.07.2010, N° 09-40.951).

Ce principe d’exclusion s’applique à toute procédure collective : sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire. Ainsi, le nouvel employeur n’est pas tenu aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur lorsque le transfert du contrat de travail fait suite à une cession de fonds de commerce pendant l’exécution d’un plan de redressement (Cass. Soc. 19.04.2023, N° 20-12.808). 

Si le nouvel employeur n’est pas tenu des obligations qui incombaient à l’ancien employeur, il peut toutefois s’engager volontairement à prendre en charge dans le cadre d’un plan de cession adopté par le tribunal de commerce, les droits attachés aux contrats de travail transférés (Cass. Soc. 30.06.2016, N° 14-26.172).


Sur le même thème