Un employeur peut-il licencier un salarié pour un motif économique alors que celui-ci a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail ? Dans un arrêt du 14 février 2024, la Cour de cassation répond à cette question (Cass. Soc. 14.02.2024, N° 21-24.135).
1. Les faits
A la suite d’un accident du travail, un salarié a été placé en arrêt maladie sans discontinuer, jusqu’à l’avis d’inaptitude prononcé par le médecin du travail le 1er février 2019.
Le 16 octobre 2018, la société a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 19 février 2019.
Convoqué le 19 février 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique, le salarié a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle et le contrat a été rompu le 21 mars 2019.
Quelques mois plus tard, le salarié conteste le motif de la rupture.
2. La question de droit qui se posait
En l’espèce, le liquidateur judiciaire avait rompu le contrat de travail pour motif économique alors même que, quelques semaines plus tôt, le salarié avait été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail.
La question qui se posait était donc de savoir si un employeur peut licencier un salarié pour un motif économique alors que dans le même temps celui-ci est déclaré inapte ?
L’enjeu de cette question est important car les deux procédures de licenciement (pour inaptitude et pour motif économique) divergent. Par ailleurs, financièrement un licenciement pour une inaptitude d’origine professionnelle est plus avantageux pour le salarié. Un salarié licencié suite à une inaptitude d’origine professionnelle perçoit en effet une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité de licenciement (L1226-14 du code du travail).
Dans cette affaire, le salarié soutenait que le liquidateur judiciaire aurait dû le licencier pour inaptitude et non pour motif économique.
La cour d’appel avait fait droit à la demande du salarié.
Selon elle, l’avis d’inaptitude professionnelle rendu le 1er février 2019 obligeait l’employeur à rompre le contrat de travail dans les conditions des dispositions protectrices de l’article L1226-10 et L1226-12 du code civil, excluant ainsi toute rupture pour un motif autre, y compris pour motif économique, de sorte que la rupture du contrat de travail par l’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle en dehors des dispositions précitées était sans cause réelle et sérieuse.
3. L’arrêt de la Cour de cassation
La Cour de cassation censure ce raisonnement.
En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le motif économique du licenciement, non remis en cause par le salarié, ressortissait à la cessation définitive de l’activité de la société et qu’il n’était pas prétendu que la société appartenait à un groupe, ce dont se déduisait l’impossibilité de reclassement, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Ainsi, selon la Cour de cassation, le licenciement économique d’un salarié inapte est possible lorsque l’entreprise cesse totalement son activité et n’appartient à aucun groupe. Dans ce cas, et seulement dans ce cas1En dehors de ce cas, l’employeur devra nécessairement suivre la procédure de licenciement pour inaptitude (Cass. Soc. 14.03.2000, N° 98-41.556)., l’employeur n’est pas tenu de suivre la procédure de licenciement pour inaptitude.
La Cour de cassation avait déjà rendu plusieurs arrêts en ce sens (Cass. Soc. 04.10.2017, N° 16-16.441, à rapprocher : Cass. Soc. 09.12.2014, N° 13-12.535 ; Cass. Soc. 15.09.2021, N° 19-25.613).